LA TAPISSERIE AVANT LE XIV'SIECLE                  13
de Saint-Florent auraient fabriqué à Saumur, vers l'an 985, des. tapisseries et diverses sortes d'étoffes. Un abbé de ce monastère, nommé en 1133, aurait enrichi son église d'une tenture complète commandée par lui et représentant les vingt-quatre vieillards de l'Apocalypse et des chasses de bêtes sauvages. Il aurait existé, d'a­près d'autres auteurs, une manufacture de tapisseries à Poitiers dès l'année 1025. D'autres textes citent une pièce tissée dans l'ab­baye de Saint-Riquter vers 1060.
Or rien de plus vague que les termes dont les écrivains qui citent ces différents faits se servent pour désigner les motifs de décoration. S'agit-il d'étoffes tissées, de broderies ou de tapisseries à la main ? Impossible de rien affirmer, les descriptions s'appliquant aussi bien à l'un et à l'autre de ces procédés. Il y a plus : ces témoi­gnages écrits, invoqués par de nombreux auteurs, sont rarement contemporains des monuments dont ils parlent. Nouvelle raison pour ne les accepter qu'avec une extrême réserve. Ajoutons qu'au­cun des tissus des ix°, x° et xie siècles conservés dans les trésors cles églises, et provenant en général de tombes de personnages re­ligieux, ne ressemble à ce que nous appelons tapisserie. La plupart de ces fragments sont ornés de dessins réguliers plus ou moins compliqués. Ce sont de véritables étoffes décorées avec un certain luxe; mais il est impossible d'y saisir les éléments essentiels' constituant le travail de la haute lice.
Ainsi l'emploi exclusif des documents seuls.ou des textes anciens est rempli de mécomptes et de dangers. Un exemple donnera une forme plus sensible à notre pensée.
Il est un monument célèbre universellement connu sous le nom de tapisserie de Bayeux. A en juger sur cette désignation, et nulle part il ne porte un autre titre, on serait tenté de supposer qu'il s'agit d'un des plus anciens spécimens de l'art qui nous occupe. Or, si on peut encore hésiter sur la date précise et le lieu, de son exécution, personne n'ignore que la fameuse frise retraçant les épisodes de la conquête de l'Angleterre par les Normands n'a rien de commun avec une tenture de haute ou de basse lice. C'est un dessin à l'aiguille, sur toile; c'est, à proprement parler, une broderie.
Supposez maintenant que ce précieux ouvrage ait disparu depuis nombre d'années, qu'il ne nous soit connu que par le nom qui lui est encore attribué et la description vague de quelque vieux